jérémiade #21 – Rater Miromesnil

Je voulais lire mon livre. Métro 9, direction Miromesnil, vers minuit. De Croix de Chavaux. La mère de R. vient de mourir. Je suis allé le voir. On a eu une conversation rempli de vin rouge. Comme d’habitude. Un peu de philo, un peu de psy. Les parents, la famille. Son regard plein de détresse. Un peu plus que d’habitude. Et pourtant, sur le chemin de retour, j’essaie de lire Perec. Après des heures de vin rouge avec un pote en deuil, j’essaie de lire Perec dans le métro. Tu m’étonnes que j’ai lève la tête quand elle sont montées toutes les trois. La brune aux cheveux courts, elle attire mon regard. Avec son grand sac à dos noir. Elle va où ? Elle visite? Elle arrive ? Elle repart? Déjà, je me fais des histoires. Faut que j’arrête de me raconter des histoires. Baisser les yeux. Lire Perec. Mais le regard n’accroche pas. Son amie à des palmes énormes dans les mains. Des palmes de plongeur. Noires. Je les vois que maintenant. C’est vrai qu’elle a une tête d’une sportive. Une sportive ennuyeuse. Une passionnée qui fait des photos ennuyeuses sous l’eau. Une fille sèche qui vit pour l’eau. Mais la brune… Non, Lire Perec. Ne pas lever la tête. Ne pas lever la tête avant république. Si elle est encore là après République, elle va jusqu’à Miromesnil. Et là tu auras le temps de te construire une histoire. De t’imaginer une rencontre. Sinon c’est trop d’investissement pour 3 stations. Ne pas lever la tête. Lire les choses. Les choses de Perec. Je n’y comprends rien à ses trucs. République ? Déjà? Lever la tête. Trop tôt bien sûr. On est encore à quai. Mais elle est descendue. Pas de rencontre. On ne fait pas d’histoires ce soir. Juste un texte. L’opposition reste donc vrai. On écrit ou on rencontre. On imagine ou on vit. Au moins, en tapotant ce texte sur mon téléphone, j’ai raté mon changement. La brune aux cheveux courts aura eu de l’impact. Jusqu’à Franklin d. Roosevelt. Ce qui n’est pas rien.

jérémiade #19

En parlant de mon vieil oncle Charles:
Il n’était pas comme ça de nature. Il était comme ça d’expérience.
En parlant de mon cousin Bernard, sous-lieutenant à l’armée:
Il n’était pas comme ça à la base. Il était comme ça à la ville.

jérémiade #18

Elle m’a trompé. On s’est séparés. Je croyais l’avoir digéré. Mais hier j’étais à la Porte des Lilas et j’ai vu un bus qui allait à “Eglise des putains”. Retour chez le psy. Pour rappel, le 249 va à église de PANTIN.

jérémiade #17

Idée de slogan pour la prochaine publicité de l’office de tourisme allemand:

Vous aussi couchez avec un allemand. Un amant qui vous donne des L.

jérémiade #16

Monsieur Z vit à Colmar. Monsieur Z a toujours voté à droite. Monsieur Z aime les trains miniatures. Monsieur Z n’aime pas les familles nombreuses. Le 14 avril 2016, Monsieur Z a regardé la télévision. Comme tous les jours. Il y avait une émission sur les policiers qui chassent les graffeurs et les tagueurs. Monsieur Z a noté ces mots. Il a aussi noté qu’ils ne figurent pas dans le Petit Robert qui est posé sur le haut de l’étagère du salon. Pourvu qu’il en reste ainsi. La chasse aux tagueurs semble être un travail difficile. Les jours après, Monsieur Z se surprenait à penser souvent à cette émission sur la chasse aux tagueurs. Ce n’était pas dans ses habitudes de penser aux émissions passées. Il y avait surtout une question qui le taraudait : Comment les tagueurs avaient ils réussi à taguer ce mur d’immeuble à 50 mètres de hauteur ? Il n’y avait aucun accès, aucun escalier de visible à l’écran. Monsieur Z était allé jusqu’à enfourcher sa mobylette, aller à la bibliothèque municipale et de consulter le site web de la chaine de télévision, pour retrouver l’émission et la regarder à nouveau. Cinq fois. Il ne comprenait toujours pas. Et puis, quand, à l’automne, il y pensait encore, il décida de monter à Strasbourg pour trouver des tagueurs. Il n’en trouva pas. En 2017, presque un an après la première diffusion de l’émission, Monsieur Z, à 66 ans, a pris une décision grave. Il descendit la grosse valise du grenier, pris 500 Euro d’espèces sur son compte à a la Banque Postale et monta à Paris. Et enfin, il en aperçu, des tagueurs, des vrais…

jérémiade #15

J’ai fauté. Ce matin j’ai parlé argent dans ma cuisine. Parler argent est vraiment la dernière chose qu’on devrait faire dans une cuisine. L’avant-dernière étant mourir, c’est dire. Mourir d’une diarrhée foudroyante dans une cuisine est moins obscène qu’y parler argent. Bref, ce matin j’ai dis des obscénités comme “dette”, “trois mille”, “euros”, “taux d’intérêt, “remboursement” dans ma cuisine. Personne m’y forçait, en plus. C’était dans ma tête au lever, et c’est sorti une fois que j’avais échauffé ma bouche avec du thé. Voilà comme il est mesquin  l’argent. Il nous sort du portefeuille la journée et nous rentre dans la tête la nuit. Surtout l’argent manquant.
L’argent qu’on n’a pas prend toujours plus de place que celui qu’on a. Mais assez de vulgarités. C’est qui m’a sauvé ce matin, c’est le grille pain. Je l’ai regardé et je me suis dit: Si j’étais un micro-humain, un petit bonhomme de 7 centimètres de haut et que je vivais dans un grille-pain, peut-être que je m’en sortirais mieux?
Dans un grille-pain il fait chaud, on a une belle lumière chaude, et il y resteront toujours des miettes. C’est décidé! Je change de vie et je vais aller vivre dans un grille-pain.
Demeure la question: Vaut-il mieux construire un grille-pain énorme ou rétrécir d’un mètre soixante-cinq?

jérémiade #14

Au fil des années, l’angoisse monte, chez l’homme.
À 15 ans, je n’étais pas sur que mon sexe était fait comme il faut.
À 30 ans, j’étais angoissé par mes tablettes de chocolat fondantes.
À 45 ans, j’étais obsédé par la mollesse de mes molaires.
À 60 ans, la calvitie me hantait, et pas seulement les jours de pluie.
À 75 ans, mes angoisses sont montés d’un cran. Est-ce que dieu accepte les athées, au ciel?